Inventer des tribus

Entretien

Inventer des tribus

Entretien avec Thierry Thieû Niang autour de C'est tout!

Comment ce projet est-il né ? En quoi le questionnaire de Marguerite Duras est-il une source d’inspiration ?

J’ai proposé à Hortense Archambault et à l’équipe de la MC93 de travailler avec des enfants et des adolescent·e·s à la sortie du premier confinement pendant cette pandémie. Je trouvais qu’il fallait leur faire une place, les questionner sur ce que nous venions de vivre, de traverser. J’ai pensé à cet entretien radiophonique qui date des années 80 et que j’écoute souvent : « Marguerite Duras dialogue avec des enfants ». Ensemble ils parlent du monde, des transformations de celui-ci, du progrès, de la nature, du proche et du lointain, du temps qui est, de celui qui reste. Il y a entre eux une écoute sensible et juste, vertigineuse et joyeuse. Je voulais écouter des enfants et des adolescents raconter le monde. 

Vous travaillez depuis plusieurs années avec de jeunes amateurs, en Seine-Saint-Denis et ailleurs. Comment ces expériences vous ont-elles marqué ?

Elles m’ont changé et fait grandir ! Elles ont changé ma façon de travailler, de danser, de transmettre mais aussi de mettre en scène et en mouvement les corps, les danses. 

"Inventer des questions, imaginer des réponses, des paroles, des gestes et même des textes de Duras pour dessiner en commun une écriture poétique au plateau."

Quel est votre processus de travail avec Marie Vialle et Jimmy Boury ?

J’ai eu envie d’inviter Marie Vialle, comédienne et metteure en scène et Jimmy Boury, créateur lumière et son à travailler sur ce projet pour qu’ensemble nous conjuguions nos langages et nos présences artistiques afin d’accompagner les enfants et les adolescent·e·s dans le processus de création. Inventer des questions, imaginer des réponses, des paroles, des gestes et même des textes de Duras pour dessiner en commun une écriture poétique au plateau.

Vous cherchez avec les participants de nouvelles questions, par rapport à celles posées dans les années 1970 par Marguerite Duras. Quelles sont les principales préoccupations qui ressortent des premières répétitions ?

La nature, le climat, la tolérance, l’être ensemble, la paix. 

Comment le regard des enfants et des adolescents sur notre monde nous permet-il aussi de nous réenchanter ?

Il faut les regarder, les écouter, partager avec eux des moments où l’on fabrique, partage du sensible, du jeu, des mouvements et des idées. Ils et elles sont, je pense à leurs manières des architectes, des jardinier·e·s, des philosophes, des professeur·es, des éclaireurs, des sentinelles, des actrices et acteurs de notre temps. Du présent ! 

"J’aime ainsi réunir, inventer des familles, des tribus, des troupes élargies."

La troupe du spectacle se compose aussi de plusieurs générations d’enfants... Quelle place occupe cette dimension intergénérationnelle ?

J’aime à réunir plusieurs générations au travail, sur un plateau : enfants, adolescent·e·s, adultes, seniors mais aussi amateur·e·s et professionnel·le·s. Il existe peu de moments, d’événements, de situations où l’on peut voir ainsi des enfants et des adolescent·e·s de 8 à 19 ans fabriquer, inventer, bouger ensemble. C’est dans les familles à travers les fratries ou les cousinages, que l’on réunit ainsi plusieurs générations d’enfants pour des fêtes, des cérémonies, des vacances. Le système scolaire, associatif ou sportif crée des classes d’âges. J’aime ainsi réunir, inventer des familles, des tribus, des troupes élargies. 

Pourquoi C’est tout ! ?
Souvent quand les enfants tentent de répondre à des questions, ils amorcent une ou plusieurs idées puis ils terminent leurs réponses, leurs histoires par un beau et fort : « C’est tout ! ». J’aime beaucoup cette manière ouverte et mystérieuse qu’ont les enfants à développer, à sceller et à conclure une parole.

C’est aussi le titre du dernier livre de Marguerite Duras. 

Oui, c’est tout. Et le tout comprend le monde !

 

Propos recueillis en février 2022.